Albert Gleizes & Moly Sabata

12 mai > 25 juillet 2010

Avec Albert Gleizes, Robert Pouyaud, Anne Dangar et Jean-Claude Libert

La présentation chronologique d’une trentaine d’œuvres d’Albert Gleizes (1881-1953) –peintures, dessins et gravures- permet de parcourir l’univers passionnant d’une figure marquante du Cubisme et de suivre aisément son évolution artistique, entre 1903 et 1951.

À travers ses nombreux essais -il n’est pas homme à garder secrets les éléments de son esthétique- Albert Gleizes trace le programme rigoureux d’un art, issu du Cubisme, entièrement renouvelé, plus sensible qu’il mène seul jusqu’à l’aboutissement. Une « peinture plane », fondée sur la mesure et le rythme, se suffisant de son propre objet, qu’elle soit figurative ou non.

À ses implications intellectuelles et artistiques, s’en ajoute une d’ordre social : la position des artistes sur le marché de l’art. Pour faire face à la spéculation, à la production industrielle, il offre à ses pairs refuge et atelier à Moly-Sabata à Sablons en Isère. Un lieu de retraite favorable à l’ascétisme mais aussi un centre d’étude et de rencontre pour tous les artistes souhaitant fonder la peinture sur des bases nouvelles. Robert Pouyaud (1901-1970), Anne Dangar (1885-1951), les disciples de Gleizes et Jean-Claude Libert (1917-1995) ont participé à cette aventure communautaire utopique. Leurs œuvres, associées à cet hommage, font revivre l’expérience de Moly-Sabata.

Albert Gleizes est arrivé à la peinture par l’Impressionnisme. Comme Jean Metzinger, Robert Delaunay, il découvre des dimensions, des modes de construction plastique autres que le modelé classique. Quelques raisons pour expliquer cette remise en question : engouement pour les découvertes scientifiques, fascination pour l’art primitif riche en imagination et en inventions plastiques et la grande exposition rétrospective de Cézanne (1907) qui apporte sa leçon de combinaisons de cônes et de cylindres.

Le Cubisme, initié par Braque et Picasso, se propose de bouleverser les concepts esthétiques et techniques de l’art traditionnel né de la Renaissance. L’acte de peindre ne se contente pas d’imiter le réel. L’espace pictural est organisé de façon à rendre visible la spécificité de la peinture (ligne, couleur,…). Le visible, qui résulte d’une construction de l’esprit, reste le seul valable. « Les sens déforment, l’esprit forme » (Braque). Un ordre plastique d’avant-garde qui laisse la liberté, à chaque prospecteur et selon sa propre ingéniosité, de concevoir l’espace du tableau dans son autonomie. « L’art est la révélation d’une vérité et non une effusion romantique » (Max Jacob).

En marge du Cubisme de Braque et de Picasso, son processus pictural rejoint celui de ses camarades du groupe de la Section d’Or, Metzinger, Le Fauconnier, Robert Delaunay, Fernand Léger, Jacques Villon… Elle a pour objet fondamental l’architecture de la composition dont les constantes sont rythme, harmonie et équilibre inscrivant ainsi le Cubisme dans la Tradition française.

Gleizes prône un retour à la Tradition mais sous une forme vivante. Avec méthode et discipline, il trouve dès le début des années 1920 sa solution personnelle pour arriver à ce qu’il entrevoit de réellement dynamique en art pictural : l’aplatissement de la forme par surface plane, le glissement et la rotation des plans, les cercles(1), se nouant et se dénouant en courbures, spirales et entrelacs, déterminent le rythme qui unifie les figures plastiques. Un système de peinture pensé comme un métier qui ouvre la voie à tous les arts de l’objet depuis l’architecture jusqu’aux activités artisanales. Les cinquante sept estampes de 1949 illustrant Les Pensées sur l’Homme et Dieu de Blaise Pascal rassemblent les diverses étapes de cette longue méditation esthétique, révèlent son dessein d’unir la foi et la raison.

L’interprétation musicale de la couleur-mouvement le conduit, dans ses dernières œuvres de 1950-52, vers une peinture lyrique, à la limite de l’abstraction où le glossaire disparaît au profit de l’arabesque et de la couleur.

Son engagement à constituer une communauté « d’individualités conscientes » a inspiré la décision d’Albert Gleizes d’ouvrir, en 1927, le domaine de Moly-Sabata à Sablons aux intellectuels et aux artistes de toutes disciplines, soucieux de la régénération de l’homme, partageant une activité créatrice désintéressée.

On y vit en famille et on se donne un but concret : à côté du travail de la terre, subvenir en créant. En accord avec Gleizes pour un retour aux arts traditionnels et manuels, ils deviennent artisans potiers, menuisiers, tisserands …, des exercices étrangers à leur fonction de peintre ou de sculpteur. L’artiste est le plus zélé des artisans. Nulle rupture entre les hommes de métier ! Le désir du travail bien fait incite Anne Dangar et Jean-Claude Libert à se former auprès du potier paysan de la région. Ces artistes-artisans, épris de « la belle ouvrage » transposent, innovent, assurent le rayonnement de la pensée de Gleizes et de son œuvre. Les beaux pochoirs de Pouyaud d’après des peintures de Gleizes s’adressent à des amateurs aux revenus modestes, les poteries utilitaires raffinées d’Anne  Dangar et de Libert embellissent la vie au quotidien. Conformément au vœu social de Gleizes.

Robert Pouyaud, de 1927 à 1930, puis Anne Dangar, de 1930 à1951, veilleront aux destinées du lieu. Jean-Claude Libert poursuivra le travail de 1952 à 1956.

« Mon effort de peintre a depuis plus de trente ans porté sur ce travail de réfection de l’homme : ma peinture comme moyen expérimental de moi-même ; mes livres comme des essais d’éclaircissement intellectuel, mes organisations pratiques de Moly-Sabata à Sablons en Isère, des Méjades à Saint-Rémy-de-Provence comme aide à des artistes et intellectuels qui veulent se retrouver, corroborent l’unité de mes intentions sous des aspects différents. »

Dans la quête de l’Universel, toute sa vie se passe ainsi en une recherche constante : « celle de faire surnaturel et de faire humain » (Bernard Dorival).

Albert Gleizes s’est éteint en 1953 après avoir vécu l’une des périodes les plus fécondes de l’histoire de la peinture contemporaine. Cinquante sept ans après sa mort, le soutien de la Fondation Albert Gleizes nous donne l’occasion de redécouvrir cette personnalité atypique de l’histoire de la modernité.

 

Albert Gleizes, "Le pont de Serrières", 1920 © Adagp, Paris 2010
Albert Gleizes, "Peinture", 1930-1931, © Adagp, Paris 2010