Extra-Muros, scènes de paysages

17 février > 25 avril 2010

Avec Christophe Dugied et Andoche Praudel

Porteuse d’une représentation descriptive mais aussi subjective de la réalité, la photographie semble avoir la faculté de véhiculer des idées et des concepts esthétiques. Plus qu’une technique, c’est un outil conceptuel autonome susceptible de mener à la perfection le projet artistique. Depuis les années 60, cette technologie connaît un engouement sans précédent chez les artistes qui l’intègrent de plus en plus à leur pratique. Cent soixante-dix ans après son avènement, la photographie fait partie des sept familles de l’art contemporain avec une grande variété de styles, de présentations et d’intentions.

L’acte photographique actuel résulte d’un processus intellectuel qui est à l’opposé de la photographie sur le vif, de l’instant décisif défini comme le moment le plus significatif d’une réalité donnée. Aujourd’hui, l’information photographique (en tant que témoignage documentaire) est orientée vers une direction autre. Pour mieux appréhender la perception du monde, on utilise l’idée de collection, on fait appel à la « pensée des arts plastiques » pour donner une dimension et un statut artistiques.

À la frontière du reportage, le travail photographique de Christophe Dugied et d’Andoche Praudel reflète cette même intention esthétique.

Christophe Dugied aime les paysages nocturnes et périurbains consacrés aux ports, entrepôts et usines désertés. Il produit des tableaux photographiques comme en témoignent leur grand format et l’utilisation des couleurs qui matérialisent la lumière. Le cadrage des architectures, le jeu infini des lignes, l’accent mis sur les ombres ciselées concourent à transcender (théâtralement) ces lieux de transition et provoquent le sentiment d’une narration suspendue. Les œuvres de Dugied s’apparentent aux images filmiques. Il y règne une atmosphère de mystère, d’attente et de menace.

Andoche Praudel immortalise les vestiges d’un monde rural en déclin à travers les séries « Cours de fermes » et « Champs de bataille », issues d’un travail d’inventaire et de réflexion. Les paysages sans présence humaine sont lisibles, la couleur leur confère une illusion d’idéalité.

Mais l’aspect documentaire revêt la dimension artistique. Par le choix du grand format panoramique, pris à la peinture, qui doit apporter une plénitude au regard et faire ressentir l’harmonie et l’ambiance du lieu. Par l’emploi d’un papier japonais traditionnel qui apporte, outre la séduction d’une estampe, une valeur littéraire et une atmosphère poétique à ses champs agraires. Ces conditions sont favorables à la contemplation et à la prise de conscience d’une nature de plus en plus dévastée.

Les photographes Christophe Dugied et Andoche Praudel se prêtent au jeu du documentaire sans esprit de documentation. Pour magnifier leur sujet simple et banal, ils restent attentifs à la qualité technique convaincus que la force de l’image peut engendrer des émotions intenses, établir le dialogue avec celui qui la regarde. 

Ces fragments de paysages réalisés nous laissent osciller entre interrogation et étonnement. Nous sommes prêts à garder l’œil éveillé et la conscience en alerte.        

Andoche Praudel, "Champs de Bataille", 2009
Christophe Dugied, "Les Trois Portes", 2002

Albert Gleizes & Moly Sabata

12 mai > 25 juillet 2010

Avec Albert Gleizes, Robert Pouyaud, Anne Dangar et Jean-Claude Libert

La présentation chronologique d’une trentaine d’œuvres d’Albert Gleizes (1881-1953) –peintures, dessins et gravures- permet de parcourir l’univers passionnant d’une figure marquante du Cubisme et de suivre aisément son évolution artistique, entre 1903 et 1951.

À travers ses nombreux essais -il n’est pas homme à garder secrets les éléments de son esthétique- Albert Gleizes trace le programme rigoureux d’un art, issu du Cubisme, entièrement renouvelé, plus sensible qu’il mène seul jusqu’à l’aboutissement. Une « peinture plane », fondée sur la mesure et le rythme, se suffisant de son propre objet, qu’elle soit figurative ou non.

À ses implications intellectuelles et artistiques, s’en ajoute une d’ordre social : la position des artistes sur le marché de l’art. Pour faire face à la spéculation, à la production industrielle, il offre à ses pairs refuge et atelier à Moly-Sabata à Sablons en Isère. Un lieu de retraite favorable à l’ascétisme mais aussi un centre d’étude et de rencontre pour tous les artistes souhaitant fonder la peinture sur des bases nouvelles. Robert Pouyaud (1901-1970), Anne Dangar (1885-1951), les disciples de Gleizes et Jean-Claude Libert (1917-1995) ont participé à cette aventure communautaire utopique. Leurs œuvres, associées à cet hommage, font revivre l’expérience de Moly-Sabata.

Albert Gleizes est arrivé à la peinture par l’Impressionnisme. Comme Jean Metzinger, Robert Delaunay, il découvre des dimensions, des modes de construction plastique autres que le modelé classique. Quelques raisons pour expliquer cette remise en question : engouement pour les découvertes scientifiques, fascination pour l’art primitif riche en imagination et en inventions plastiques et la grande exposition rétrospective de Cézanne (1907) qui apporte sa leçon de combinaisons de cônes et de cylindres.

Le Cubisme, initié par Braque et Picasso, se propose de bouleverser les concepts esthétiques et techniques de l’art traditionnel né de la Renaissance. L’acte de peindre ne se contente pas d’imiter le réel. L’espace pictural est organisé de façon à rendre visible la spécificité de la peinture (ligne, couleur,…). Le visible, qui résulte d’une construction de l’esprit, reste le seul valable. « Les sens déforment, l’esprit forme » (Braque). Un ordre plastique d’avant-garde qui laisse la liberté, à chaque prospecteur et selon sa propre ingéniosité, de concevoir l’espace du tableau dans son autonomie. « L’art est la révélation d’une vérité et non une effusion romantique » (Max Jacob).

En marge du Cubisme de Braque et de Picasso, son processus pictural rejoint celui de ses camarades du groupe de la Section d’Or, Metzinger, Le Fauconnier, Robert Delaunay, Fernand Léger, Jacques Villon… Elle a pour objet fondamental l’architecture de la composition dont les constantes sont rythme, harmonie et équilibre inscrivant ainsi le Cubisme dans la Tradition française.

Gleizes prône un retour à la Tradition mais sous une forme vivante. Avec méthode et discipline, il trouve dès le début des années 1920 sa solution personnelle pour arriver à ce qu’il entrevoit de réellement dynamique en art pictural : l’aplatissement de la forme par surface plane, le glissement et la rotation des plans, les cercles(1), se nouant et se dénouant en courbures, spirales et entrelacs, déterminent le rythme qui unifie les figures plastiques. Un système de peinture pensé comme un métier qui ouvre la voie à tous les arts de l’objet depuis l’architecture jusqu’aux activités artisanales. Les cinquante sept estampes de 1949 illustrant Les Pensées sur l’Homme et Dieu de Blaise Pascal rassemblent les diverses étapes de cette longue méditation esthétique, révèlent son dessein d’unir la foi et la raison.

L’interprétation musicale de la couleur-mouvement le conduit, dans ses dernières œuvres de 1950-52, vers une peinture lyrique, à la limite de l’abstraction où le glossaire disparaît au profit de l’arabesque et de la couleur.

Son engagement à constituer une communauté « d’individualités conscientes » a inspiré la décision d’Albert Gleizes d’ouvrir, en 1927, le domaine de Moly-Sabata à Sablons aux intellectuels et aux artistes de toutes disciplines, soucieux de la régénération de l’homme, partageant une activité créatrice désintéressée.

On y vit en famille et on se donne un but concret : à côté du travail de la terre, subvenir en créant. En accord avec Gleizes pour un retour aux arts traditionnels et manuels, ils deviennent artisans potiers, menuisiers, tisserands …, des exercices étrangers à leur fonction de peintre ou de sculpteur. L’artiste est le plus zélé des artisans. Nulle rupture entre les hommes de métier ! Le désir du travail bien fait incite Anne Dangar et Jean-Claude Libert à se former auprès du potier paysan de la région. Ces artistes-artisans, épris de « la belle ouvrage » transposent, innovent, assurent le rayonnement de la pensée de Gleizes et de son œuvre. Les beaux pochoirs de Pouyaud d’après des peintures de Gleizes s’adressent à des amateurs aux revenus modestes, les poteries utilitaires raffinées d’Anne  Dangar et de Libert embellissent la vie au quotidien. Conformément au vœu social de Gleizes.

Robert Pouyaud, de 1927 à 1930, puis Anne Dangar, de 1930 à1951, veilleront aux destinées du lieu. Jean-Claude Libert poursuivra le travail de 1952 à 1956.

« Mon effort de peintre a depuis plus de trente ans porté sur ce travail de réfection de l’homme : ma peinture comme moyen expérimental de moi-même ; mes livres comme des essais d’éclaircissement intellectuel, mes organisations pratiques de Moly-Sabata à Sablons en Isère, des Méjades à Saint-Rémy-de-Provence comme aide à des artistes et intellectuels qui veulent se retrouver, corroborent l’unité de mes intentions sous des aspects différents. »

Dans la quête de l’Universel, toute sa vie se passe ainsi en une recherche constante : « celle de faire surnaturel et de faire humain » (Bernard Dorival).

Albert Gleizes s’est éteint en 1953 après avoir vécu l’une des périodes les plus fécondes de l’histoire de la peinture contemporaine. Cinquante sept ans après sa mort, le soutien de la Fondation Albert Gleizes nous donne l’occasion de redécouvrir cette personnalité atypique de l’histoire de la modernité.

 

Albert Gleizes, "Le pont de Serrières", 1920 © Adagp, Paris 2010
Albert Gleizes, "Peinture", 1930-1931, © Adagp, Paris 2010

De la Russie à Paris

10 novembre 2010 > 16 janvier 2011

Avec Michel Kikoïne, Nicolas Wacker, Yankel et Rustam Khamdamov

La présentation d’une centaine d’œuvres, des peintures, des dessins, des collages allant de 1920 à nos jours, propose de réunir le temps de l’exposition trois générations d’artistes d’origine russe. Michel Kikoïne (1892, Gomel (Biélorussie) – 1968, Paris) et Nicolas Wacker 1897, Kiev (Ukraine) – 1987, Paris) appartiennent à la première génération de ces migrants de l’Est qui découvrent la liberté de peindre. Fils de Michel Kikoïne, Yankel, né à Paris en 1920, passe sa petite enfance radieuse à la Ruche, lieu de refuge des artistes immigrés et haut lieu de l’art moderne. Venu à Paris en 1992 au titre d’artiste en résidence, le cinéaste Rustam Khamdamov (né en 1944 à Tashkent, Ouzbékistan) a vécu trois années d’intense création graphique qui lui ont permis d’oublier son désenchantement cinématographique. L’expression figurative, répondant cependant à une volonté esthétique toute personnelle, est le seul élément qui rapproche le langage visuel de ces quatre créateurs.

Pour un artiste en quête de destin, l’élection de la terre d’accueil doit être réfléchie au regard de ses attentes : une stimulation intellectuelle et créatrice. En ce début du XXème siècle, en Russie, tous les regards sont tournés vers l’Ouest et Paris comme centre artistique dynamique et rayonnant. Montparnasse et la Ruche, avec des ateliers au loyer modique, des cafés bon marché, facilitent l’entraide, la sociabilité et l’émulation des artistes exilés qui forment l’École de Paris aux tendances esthétiques des plus diverses entre Tradition et Avant-garde, empêchant toute classification distincte.

Arrivé en 1912, Kikoïne, partageant avec ses amis de jeunesse de Chaïm Soutine et de Pincus Krémègne la passion des grands maîtres classiques, rêve d’approfondir sa connaissance de Courbet, Cézanne, Renoir, Monet. D’une curiosité inlassable pour la multiplicité des formes, des lumières qu’offre la vie apparente, il aime traduire l’essence des choses faisant chanter la couleur, exaltant la matière par une touche puissante imprimée dans la pâte, une palette aux couleurs chatoyantes et « senties ». Seuls ses portraits dessinés, passant des contours subtils aux zones denses de clair-obscur, constituent une interprétation tempérée de son expressionnisme judéo-russe.

Désireux d’entrer en contact avec les avant-gardes de la capitale, Wacker débarque à Paris en 1926, après un bref séjour en Allemagne. Sa peinture a connu plusieurs phases liées aux vicissitudes de sa vie personnelle, mais présente néanmoins une unité fondamentale. Les formes, figuratives ou non figuratives, appartiennent au même langage que seul le regard change. Chercheur exigeant pour qui la technique de la peinture doit naturellement faire partie de l’acte de peindre, Nicolas Wacker explore la voie cubiste (influencé par Roger Bissière) avant d’opter pour un style figuratif dépouillé, entre figuration et abstraction. Wacker poursuit son inlassable recherche de la lumière : le choix chromatique – les terres, les ocres, les blancs – baigne ses œuvres dans une atmosphère singulière et nostalgique.

Yankel, a renoncé à sa carrière d’ingénieur en géologie pour se lancer, en 1952, dans l’aventure artistique, dans la lignée de l’École de Paris. Loin des manifestes et des écoles, il se veut indépendant dans l’usage de la forme et de la couleur qui ne repose plus que sur l’acuité de son regard, la vivacité de la main et les caprices de son humeur. Ses œuvres des années 90 et 2010 affirment son goût pour les assemblages hétéroclites d’objets prélevés du folklore artisanal ou industriel.

Les dessins aux traits dépouillés, les aquarelles soulignées de fusain et d’encre de Rustam Khamdamov ont pour sujet récurrent la Femme, symbole de la Vie. L’œuvre de ce cinéaste reste à un stade intermédiaire entre le graphisme et la peinture. La fusion entre la ligne et les plages colorées confère à ses créations un climat de rêverie sensuelle, proche de ses films.

L’exposition « De la Russie à Paris » est un moment privilégié de rendre hommage à Michel Kikoïne et Nicolas Wacker, parcourir avec délectation les vingt cinq ans de création de Yankel et découvrir le travail pictural de Rustam Khamdamov.

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Michel Kikoïne, "Jeune fille au chat", 1950 © ADAGP, Paris 2010

Guerre et Vie. Ruines et Légèreté, les reporters militaires

15 février > 30 avril 2011

Avec Jean-Baptiste Tournassoud, Louis Fernand Cuville, Paul Castelnau et Albert Samama-Chikli 

Représenter la guerre est un thème traditionnel. Depuis le XVIIe siècle, la peinture d’histoire, alors art civique et idéologique par excellence, joue un rôle de premier plan dans la production d’images de la guerre à mi-chemin du document et de l’imaginaire. Dans un style épique, les effets de mise en scène, l’organisation formelle et spatiale magnifient l’héroïsme, le courage, confèrent aux sujets le sens et la valeur d’un mythe. Cependant, malgré l’exactitude dans l’image des personnages, des uniformes et autres, le jeu de la ligne et de la couleur renvoie au geste de l’artiste, trahit la matérialité de la peinture. Le tableau reste malheureusement une « surface étalée » produisant plus un plaisir esthétique qu’une valeur informative.

Perçue comme une saisie du réel, la photographie, « d’une absolue exactitude matérielle » selon Baudelaire, détiendrait une authenticité dont ne pourrait atteindre aucune autre forme d’image. Inventé pour suppléer le dessin dans la ressemblance absolue, le procédé inaugure une nouvelle ère dans la représentation, devient l’outil de choix pour immortaliser et concrétiser le visible, pour témoigner du monde. Son apparente objectivité séduit le milieu de la presse et de l’information.

Au tournant du XXe siècle, la photographie, devenue culture massive et planétaire, s’affirme comme le mode privilégié pour raconter le combat moderne. Ses avancées techniques (appareils plus légers et plus maniables) la propulsent comme « le peintre le plus féroce de la guerre ».

Procédé de fixation d’empreinte lumineuse, la photographie emmagasine seule de l’information et invite à voir la vraie guerre par procuration. On assiste aux combats tragiques en temps réel, on capte la notion du danger d’une manière indirecte. L’image capturée véhicule ainsi des idées, des sentiments équivalents.

Et de ce fait, son objectivité a ses limites. L’épreuve photographique (même si elle se veut strict enregistrement du réel) adopte un point de vue et ne peut être neutre. Les choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de la lumière manipulent le réel et la vérité, influent sur la perception, manœuvrent les émotions.

Outre le devoir de mémoire, le médium se prête naturellement à toute stratégie de communication.

La Section Photographique de l’Armée (SPA), première agence photographique de l’État créée au lendemain de la Première Guerre mondiale, se voit alors assigner de combattre la propagande allemande par l’image à profusion. Dire avec éloquence les misères de l’invasion, les gloires de la résistance et de la victoire en prenant « des clichés intéressants au point de vue historique (destructions, ruines), au point de vue de la propagande par l’image à l’étranger, au point de vue des opérations militaires par la constitution d’archives documentaires ».

La sélection des photographies présentées, soixante-trois épreuves dont quarante-cinq reproductions d’autochromes, provient des fonds « Première Guerre mondiale » et « Deuxième Guerre mondiale » conservés par l’ECPAD*, Agence d’images de référence et Centre d’archives audiovisuelles du Ministère de la Défense. Les clichés datant de 1916 (2ème période de la Grande Guerre, la guerre d’usure) à 1940 offrent une vision qui n’est pas celle du feu.

C’est une évocation de la guerre avant et après l’acte où toute référence au tragique est bannie de la représentation. On est convié dans les campements et les bivouacs, à constater les ravages matériels de la guerre, à admirer la ténacité psychologique des troupes et de la population civile, à capter les expressions d’une vie sereine à travers des réclames d’époque, des petits métiers…Une description humaniste qui sert à familiariser l’activité guerrière.

Grâce à l’invention de l’autochrome des frères Lumière en 1905, la guerre est fixée pour la première fois en couleurs. Les œuvres de Tournassoud, Cuville, Castelnau ou Samama-Chikli apportent une qualité artistique qui fait oublier la réalité désolante, attribuent aux sujets immortalisés la résonnance du mythe, assurent sans faille la pensée guerrière, dans la continuité de la peinture d’histoire.

*Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense

© photo ECPAD France
© photo ECPAD France

Gérard Le Cloarec : l’œil cosmique

11 mai > 24 juillet 2011

Gérard Le Cloarec, né le 29 décembre 1945 à Penmarc’h (Finistère), développe son goût pour le dessin dès l’âge de dix ans. Prédilection qui le conduit à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en 1964. Diplômé en 1968, il se voue uniquement à la peinture à partir de 1972. Et un dessein : être au monde et peindre, être témoin de soi-même pour l’être de son temps.

Pendant toutes ses années de formation, Gérard Le Cloarec se montre réceptif à l’influence de la Figuration narrative, se rallie à la Figuration critique, des mouvements artistiques utilisant l’art comme outil de transformation sociale. Malgré cette adhésion initiale et quelques années consacrées à la Jeune peinture, il ne participe véritablement à aucun d’entre eux.

La peinture est toujours à réinventer ; elle peut infiniment trouver des formes nouvelles qui correspondent à une vérité, celle d’une époque comme celle d’un individu. Le monde présent est un univers de codes binaires, de réseaux numériques, de flux de pixels. Dans ce cybermonde naissant, Le Cloarec veut assurer le relais entre le geste pictural et le code informatique, loin des écoles et des manifestes.

Depuis les années 90, les bases du style de Gérard Le Cloarec sont posées, dans une harmonieuse synthèse, entre tradition et innovation, où le portrait tient une place prépondérante. La tête entière est ce que l’on peut voir de plus riche et de plus fin. Elle exige du peintre son attention la plus soutenue. Les visages sont des histoires, ce n’est pas un sujet que je vois mais un émetteur de signes.

Dans la série des portraits, d’ethnies aux célébrités, l’esprit, l’œil et la main de Le Cloarec tendent moins à décrire les portraiturés qu’à les connaître, à les faire surgir, à les préciser grâce à un ensemble de signes qui soit à la fois idéogramme et masque. Une technique bien personnelle qu’il exploitera tout au long de son œuvre. Des traits, des croix, des lignes, des touches irrégulières (formant la grille graphique selon Braun-Vega) fragmentent analytiquement la forme. Des inscriptions de chiffres, de lettres engendrent un type de représentation par scanning, par synthèse (combinaison), génèrent une dimension algorithmique. La rigueur de la composition disparaît derrière les plans richement colorés. Avec ses autoportraits, Le Cloarec ne déroge pas à la règle, l’introspection psychologique n’étant pas le but recherché. Seuls les portraits de femmes en buste, mi-sphinges, mi-robots, révèlent l’intensité d’une énigme.

Une quarantaine de portraits originaux et forts, dont les plus récents « Rembrandt », « Dürer », « De Vinci », « Magritte », « Tanguy », « Max Ernst », sillonne l’univers fantasque de Gérard Le Cloarec. Elle offre surtout la trace éclatante de l’ambition d’un artiste fécond qui se veut précurseur de l’art numérique.

 

balle d'ecume
Gérard Le Cloarec, "Balle d'écume", 2010 © Adagp, Paris 2011

Artistes à découvrir 2011

17 septembre > 16 octobre 2011

Avec Maria Ahmadi Emdadian, Alexandra Fontaine, Guillaume Libert, Murielle Maudet, Catherine Nicolas

La manifestation « artistes à découvrir » s’inscrit dans le prolongement d’une programmation dédiée à la promotion de l’art contemporain auprès d’un large public.

L’exposition fait le choix de privilégier la jeune création, d’offrir l’opportunité aux artistes émergents ou en devenir (de toutes les formes de création) de se confronter au regard du visiteur, de susciter son intérêt et pourquoi pas son adhésion.

Une œuvre d’art est, selon E. Zola, un coin de la création vu à travers un tempérament. De ce fait, l’exposition opte pour un nombre restreint d’artistes invités afin de mettre en valeur les différents univers, de souligner les démarches singulières, enfin de favoriser la rencontre du public et ces réalisations.

La sélection est éclectique visant une diversité sans hiérarchie. Afin de rétablir un rapport plus intime entre l’œuvre et le public, seules comptent la pratique rigoureuse, inspirée et la passion exigeante, totale.

Maria Ahmadi-Emdadian, Alexandra Fontaine, Guillaume Libert, Murielle Maudet et Catherine Nicolas sont les artistes à découvrir. Différents moyens plastiques sont à l’œuvre : dessin, peinture, sculpture, installation,…

À travers la présentation, la Maison des Arts poursuit son ambition et objectif culturels : être le passeur d’une création vivante.

Alexandra Fontaine, "Balade de la mémoire perdue-retrouvée", 2010

Écritures photographiques : Michel Riehl et Daniel Kermann

25 octobre > 4 décembre 2011

Avec Michel Riehl et Daniel Kermann

Dès 1890, la photographie, dégagée de l’influence de la peinture en tant que technique, exploite ses caractéristiques propres, s’investit dans tous les mouvements artistiques avant-gardistes comme médium créatif pour devenir une tradition instantanée, capable de véhiculer idées et concepts esthétiques. Elle ne se contente plus de reproduire ; par la présentation en séries, la photographie s’équilibre entre description objective et commentaire subjectif.

La pratique de la photographie contemporaine résulte d’un processus intellectuel. Aucune spontanéité ni instantanéité de l’image. De sa prise de vue à son traitement technique, elle est le spectacle d’un contrôle permanent. Le travail délibéré de la couleur (à dramatiser ou à esthétiser le sujet), les retouches numériques, le grand format jusqu’à son mode de présentation portent l’empreinte de la sensibilité et la personnalité de l’auteur.

Daniel Kermann et Michel Riehl préfèrent une vision plus subjective et une transcription de sensations, prenant le parti de l’auteur contre l’opérateur, de l’interprétation contre la transmission du réel. Les photographies prennent alors valeur de tableaux.

Dans ses déambulations photographiques, Michel Riehl se veut être « l’interprète visuel » des œuvres de la nature. Observations du sujet, prises de vue, cadrages, lumière, accrochage dense des images, il réorganise son témoignage visuel qui aura obéi à la réaction de ses yeux et l’accord de son cœur. Les séries Épis d’été, Contraintes, Glacier d’Islande, Lagune Argentine… concourent, image après image, à la sublimation de la nature.

Inspirées des natures mortes hollandaises du XVIIème siècle, des Vanités de l’époque baroque, les séries Maux du monde, Cabinets de curiosité, Névralgie, Bûches… ont des liens très étroits avec la peinture classique. Daniel Kermann entend produire des tableaux, l’équivalent de peintures avec l’outil photographique, en adéquation avec notre époque. Par souci de « faire » l’image, les manipulations numériques sont nécessaires quand la technique photographique pure ne peut restituer le climat, l’angoisse et le désespoir.

Le désir de voir est avant tout une excitation du regard. La chorégraphie de la nature de Michel Riehl, les tableaux photographiques de Daniel Kermann proposent un art de l’image fixe. Ils marquent le retour manifeste au réalisme photographique de la peinture et au « pictorialisme » non unique mais sériel. 

Michel Riehl, "Glacier d'Islande", juin 2010
Daniel Kermann, "Les maux du monde", janvier 2009

Ligne, figure et signe : Colette Banaigs et Françoise Delecroix

14 décembre 2011 > 15 janvier 2012

Avec Colette Banaigs et Françoise Delecroix

Concurrencée dans la figuration du monde extérieur, la peinture renonce à l’art de l’illusion, s’essaie alors à une représentation fondée sur une « harmonie parfaite entre l’idée et la forme » (selon Hegel), par l’inspiration créatrice de l’artiste, faite d’intelligence et de sensualité fine.

Ramenée à sa surface plane, elle est uniquement signe, couleur. Pour donner sens, elle repose sur les pouvoirs évocateurs de la poésie et de la musique qui mobilisent l’imagination et, par leur contour imprécis, soulèvent une gamme plus vaste d’émotions et de suggestions. Moins une surface colorée, le tableau est une machine à vivre puisque rythmée par un temps propre à l’artiste.

Entre l’évident et le dérobé, différents chemins sont empruntés. Des alchimies d’images inédites, de nouvelles expérimentations ont pour visée unique : vêtir l’idée d’une forme sensible et tracer des images qui interrogent.

En art, notre arme est la sensualité, la sensualité définie comme forme de connaissance du monde. (Roberto Matta)

En quête de l’irrationnel, Colette Banaigs se réfère à un automatisme psychologique aux accents surréalistes pour nous entraîner dans le monde des songes. Le charme – la singularité –  tient aux rapprochements insolites (pour créer les meilleurs chocs poétiques), à l’insaisissable interprétation, à l’étrangeté de la composition (mélangeant figuration et abstraction) et aux proportions des divers détails entre eux. Des signes lisibles, corps et objets, sous une apparence gratuite et arbitraire, recèlent une promesse de sens. Être allusif pour solliciter. « Les figures transitoires » de Colette Banaigs s’en remettent à notre imagination, excitent nos rêves, suscitent nos réflexions.

Avec le zèle d’une abeille, je récolte dans la nature les formes et les perspectives. (Paul Klee)

C’est le mouvement, par le truchement de la ligne qui prédomine l’œuvre de Françoise Delecroix et qui en est le sujet. Les moyens traditionnels d’investigation de la logique et de la sensation sont, ici,  renoués. La genèse et l’évolution de la création sont exprimées par les mouvements et les formes linéaires, par le rayonnement interne de ces formes, les divers centres de celles-ci entrelacées, combinées de diverses manières. Par l’action des lignes, la figure semble planée, échappée à la pesanteur, bouleverse l’espace. Signes aériens, en suspension, synthétisés par le fond de couleur uni, procurent au tableau sa profondeur de champ et son mystère. Françoise Delecroix dématérialise le corps humain – forme objet – par une synthèse de l’animation interne et du mouvement libre ouverte à toutes les alternatives, aux sensations et aux sentiments.

La création vivante doit se détacher de la théorie. Chaque œuvre peinte est une réalité personnelle. Colette Banaigs et Françoise Delecroix incitent le spectateur à bousculer sa façon de voir, à rester en éveil, à rester ouvert.

Colette Banaigs, "L'intrus", 2005, ©Adagp, Paris 2011
Françoise Delecroix, "N°8 gd bleu", 2011

Inde, peintres et philosophes

15 février > 25 mars

Avec Anju Chaudhuri et Narayanan Akkitham

Dans les années 40, le milieu intellectuel indien a le souci de renouveler la création picturale du pays jusque-là ancrée dans deux courants majeurs : le naturalisme occidental, courant artistique officiel du British Rag et celui plus spécifiquement indien (au nom d’une authenticité indienne) de l’école du Bengale. Au contact des mouvements avant-gardistes européens du moment, la peinture contemporaine indienne* reçoit une nouvelle intensité et vise à une modernité originale qui permet d’amalgamer ces influences variées, de les dépasser pour construire un langage pictural synthétique et inventif. Nécessité de s’ouvrir au monde mais sans trahir le patrimoine culturel national, régi par le rite et la religion.

Dans le sillage des initiateurs à la modernité, Rabindranath Tagore, son cousin Gaganendrath Tagore, Umrao Singh Sher Gil, sa fille Amita entre autres, Anju Chaudhuri (née en 1944 et originaire du Bengale) et Narayanan Akkitham (né en 1939 à Kérala) sont arrivés à Paris dans les années 60 après avoir été formés dans les écoles d’art indiennes. Pour une stimulation intellectuelle et créatrice, Paris reste un lieu privilégié.

Pénétrés de culture classique, ils chérissent l’intériorité, reviennent aux sources originelles, aux valeurs authentiques de l’art populaire, et trouvent le ton juste dans la fusion intelligente entre l’Occident et l’Orient. Au contact de l’École de Paris, Anju Chaudhuri et Narayanan Akkitham assimilent les codes occidentaux sans rejeter le monde culturel indien : un sens aigu du sacré et la quête de la couleur. Dans la tradition hindouiste, la couleur est langage, la peinture est son.

Comme cercle, carré, triangle, point renvoient aux grandes révolutions cosmiques dont l’être humain est un fragment, Narayanan Akkitham (de famille orthodoxe hindouiste, de caste brahmane) trouve dans l’Abstraction Géométrique la forme artistique idéale de la quête spirituelle ancestrale. Il établit un univers personnel de formes géométriques simples et limpides, inspirées des diagrammes sacrés tantriques. Échappées des mathématiques et de la rigueur intellectuelle dont le jeu contrasté est une juxtaposition idéale qui, selon lui, unit en symbiose les deux mondes de la nature (Prakriti) et de l’homme (Purusha). L’équilibre des constructions atteste une recherche formelle analytique occidentale. La palette de couleurs sourdes, étendues aux ocres, aux rouges, aux jaunes, aux verts et aux bleus (qui rappelle les peintures murales d’Ajanta), le rendu poli de la matière picturale – quasi émaillé – proche des miniatures indiennes, offrent une lumière subtile distillant une vibration sensible telle l’incantation d’un chant védique à la fusion entre le moi et l’autre, le divin et l’humain.

L’éternel et mouvant dialogue qu’échange l’homme avec la nature n’a cessé de préoccuper peintres et poètes. Dans la pensée indienne, la nature est une force à part entière de la vie et de l’expansion cosmique reflétées dans chaque particule élémentaire et dans chaque fibre de l’être humain.

Anju Chaudhuri a un véritable culte de la nature et de ses cinq éléments. Pour la vénérer, elle en fait le sujet de son œuvre. Son cosmos végétal est domestiqué, purifié de tout ce qu’il peut renfermé d’inquiétant ou d’effrayant. Dans un abandon créatif, sans dessin préparatoire, Anju Chaudhuri transforme l’espace de la toile en un espace de la nature, à la manière du « all over » américain, répondant à la tradition de la pensée indienne qui veut que tout soit lié, que rien ne commence ni ne finisse. Les plantes sont une synthèse de l’invention et d’apparences réelles. La symphonie des couleurs vives, choisies par leurs possibilités d’envoûtement psychologique, ordonne le mouvement, construit l’espace. Dans son esprit, surgissent des végétations nouvelles et fantastiques qui sont une mutation imaginaire des merveilles de richesses tropicales. La peinture d’Anju Chaudhuri prend une coloration mystique.

La recherche picturale est une quête nécessaire afin d’atteindre un accomplissement intérieur. La peinture fantastique d’Anju Chaudhuri et l’Abstraction géométrique revisitée de Narayanan Akkitham se complètent pour traduire une vision philosophique voire mystique de la nature et de la place de l’homme dans le cosmos. Elles soulignent une volonté novatrice de relier le patrimoine culturel indien à l’art moderne français et international.

* La peinture indienne est multiple. Il y a la peinture de tradition historique et religieuse, la peinture folklorique ou tribale et enfin la peinture contemporaine.

Anju Chaudhuri, "Suite des roseaux IV", 2011 © Michel Mathieu
Narayanan Akkitham, "Sans titre", 2006

Humour et Satire : René Botti et Daniel Maja

4 avril > 26 mai 2012

Avec René Botti et Daneil Maja

L’image prolonge le mot, supplée au verbe impuissant. Parfois, elle se suffit et parle d’elle-même, mieux que les mots. Silencieuse, elle remue des sentiments.

Depuis les années 70,  indépendant ou collaborant principalement au Magazine Littéraire, Le Monde, le New Yorker, René Botti et Daniel Maja sont chroniqueurs et rédacteurs graphiques du grand théâtre de la vie. Avec une écriture visuelle singulière, reconnaissable du premier coup d’œil, ils distillent des images fortes et éloquentes, « transfigurées des passions et des instincts » inhérents à la nature humaine. Par le biais d’un humour libérateur – leur potion magique – doublé d’une jouissance esthétique.

En contact avec le fait, Botti et Maja observent, inventent. La vision fait une place considérable à l’analyse, le dessin l’emporte.  Ils sont dessinateurs, sculpteurs et peintres, par la richesse des matières. Leur effet de mise en scène de bêtes et de gens, leur organisation formelle et spatiale, qui flirtent avec le surréalisme et le baroque, enchantent l’œil. Leurs œuvres charment par leur nervosité et leur moelleux.

René Botti fait la guerre à tous les travers de l’esprit et du cœur. Le Monde est maboul, Droit à la différence, Je crie… il placarde ses peintures sur palissades en bois, par goût du détournement. Osant les mélanges les plus inattendus, il pratique un art du hasard, affectionne la technique mixte qui abonde son œuvre d’éléments et de textures. Le regard perçant et ironique de Botti ne laisse aucune surface sans sens, sans lecture. Ce sont des partitions très calculées de signes, de citations, de poèmes, de typographie et de dessins métaphoriques aux traits qui se nuancent, qui se vivifient même par la tournure de l’esprit qui les exprime. Une élaboration méditée et rigoureuse des images de son univers poétique en un système formel cohérent. René Botti conjugue l’émotion et la règle dans ses ironies les plus piquantes.

Avec sagacité, Daniel Maja juxtapose les images comme les penseurs juxtaposent leurs pensées. Dans l’économie de ses dessins, il cultive la justesse synthétique et la force d’évocation. Par un subtil regard de biais, il se tient à distance pour mieux capter l’absurde. Quelques caractères évocateurs pour stimuler l’imaginaire et l’œil recherche le non-dit.

Bonheurs, La Vie Brève … les dessins de Maja sont des univers complets, force constructive et non agrément de surface, tour à tour graves et espiègles, ludiques et moqueurs. Le trait effiloché, vibrant, impressionniste mais « d’une sûreté diabolique » donne la forme d’une idée de la réalité. La palette chromatique raffinée compose les ondes mélodiques et atmosphériques. L’ensemble, appuyé sur de savoureuses bribes de textes, magnifient l’effet Maja : du décalé et du saugrenu.

Entre humour et satire, par leur manière particulière de jongler avec les mots et les images, René Botti et Daniel Maja nous dévoilent le dédale de notre âme. Leurs œuvres nous amusent, nous émeuvent, nous attendrissent. Elles sont à lire et à voir.

René Botti, "A la baguette...", 1999
Daniel Maja, "Goethe (Faust et Méphisto)", 2010